"L’intervention clinique au sein d’une organisation est pertinente du moment où l’on retrouve des contradictions fortes dans cette dernière."
L’organisation comme terrain de jeu de la démarche socio clinique
L’idée centrale de l’approche clinique est d’accompagner le sujet dans sa prise de conscience des nombreuses contraintes qui agissent sur lui. C’est une démarche coconstruite entre toutes les personnes inclues dans l’intervention, qui porte une attention particulière aux conflits vécus par les sujets en considérant les liens socio psychiques qui en découlent comme les conséquences des contradictions sociales et institutionnelles.
La démarche clinique en intervention engendre de nouvelles expériences et prises de conscience de la part des sujets. Elle consiste à (re)penser le changement à toute les phases de l’accompagnement, dans une dynamique de repositionnement permanent. L’accompagnement ne peut donc pas être défini au préalable, puisque chaque étape produit quelque chose de nouveaux dans le processus. Cette démarche dynamique amorce des transformations progressives par l’inclusion d’éléments nouveaux. Elle produit de nouveaux comportements, ce qui conduit à repenser les différentes étapes élaborées au départ. L’action générative est alors au cœur de l’approche clinique en sociologie, tout comme le pilotage catalytique.
L’action progressive, générative et circulaire permettent d’établir, grâce aux différentes analyses qu’elles produisent, des allées et venues permanentes entre la recherche et le terrain. Poser un diagnostic n’est plus quelque chose de formaté, préalablement défini, qui consisterait à proposer des actions concrètes, pour certaines très éloignées du terrain. Dans une dynamique de co-construction, de re questionnement et d’ajustement constant, le processus devient lui-même créateur de de valeur, de changement. L’intervention en sociologie clinique a donc pour intention de transformer les sujets en acteurs à part entière du processus, dès l’élaboration des différentes étapes jusqu’à la restitution finale. D’après Badache et de Gaulejac, « Cette mobilisation subjective se décline dans les registres de la sensibilité, de la mentalisation et de l’activité » (Badache, R, de Gaulejac, V. 2021, p. 114,115).
Le sujet sensible a besoin de retrouver une cohérence entre ce qu’il éprouve, ce qu’il dit et ce qu’il fait. Le dispositif d’intervention favorise l’expression de sentiments qui sont le plus souvent réprimé, inhibé. L’écoute sensible permet un recentrement sur soimême, ses désirs, ses émotions, ses aspirations, ses conflits. Elle clarifie ce qui vient de l’intériorité, ce qui vient de l’extériorité en particulier dans le plaisir et la souffrance au travail. Elle désamorce les tabous qui inhibent les capacités d’expression verbale et non verbale, les mécanismes de défense et les conduites adaptatives mises en œuvre pour supporter les humiliations, les violences symboliques si fréquentes dans le monde du travail. Ainsi, elle favorise les mécanismes de dégagement par rapport au repli sur soi, à la dénégation et au clivage, qui sont les réactions défensives les plus répandues dans les organisations paradoxantes […].
Le sujet réflexif mobilise ses « connaissances ordinaires » de l’organisation et du travail dans ses dimensions existentielles et professionnelles. Ces savoirs […] vont nourrir la construction d’un premier diagnostic, le vécu des salariés va nourrir les premières hypothèses élaborées sur le « système d’organisation », la prise en compte de la parole du sujet est un élément déterminant pour enclencher les étapes suivantes. C’est elle qui permet d’instaurer la confiance et de restaurer l’estime de soi. D’autant plus lorsque les salariés ont eu le sentiment d’avoir été instrumentalisé par l’organisation. La mobilisation des capacités réflexives des acteurs est un atout maître pour passer du diagnostic aux préconisations de la réflexion à l’action […].
Le sujet acteur trouve du sens dans l’activité concrète, là où il peut investir ses savoir-faire, ses compétences, ses habiletés ses habiletés les intellectuels. Là où la mobilisation corporelle mentale et psychique lui apporte un sentiment de bien-être dans l’accomplissement de ses tâches. Le travailleur s’épanouit dans le travail réel, à condition qu’il puisse le mener à sa manière, « à sa main » […]. Si l’action est commanditée de l’extérieur par des prescriptions modélisantes, il perd une partie de sa créativité, de ses compétences et de son autonomie. L’instrumentalisation est une cause majeure du mal-être au travail et de perte d’estime de soi. Reprendre la maîtrise des actions que l’on mène et alors un gage de retour au bien-être et de restauration de la confiance en soi […].
L’intervention clinique au sein d’une organisation est pertinente du moment où l’on retrouve des contradictions fortes dans cette dernière. Les conflits, entre individus ou au sein d’une équipe, sont un bon indicateur du niveau de contradiction de l’organisation, et c’est à ce moment-là que proposer une démarche clinique de l’accompagnement est efficace, tant pour comprendre l’origine des problèmes que pour redonner du sens à l’activité.
Dans une organisation, les individus sont dans l’obligation de s’inscrire et de s’adapter aux besoins et exigences de cette dernière qui, généralement, leur demande en retour une certaine autonomie dans leurs activités. L’individu peut alors faire face à une contradiction entre ce que l’organisation attend de lui (c’est-à-dire qu’il s’adapte aux attentes, besoins, objectifs, valeurs, etc.) et ce qu’il attend en retour de l’organisation (une place socialement définie en phase avec ses histoires de vie et ses aspirations, un certain épanouissement, de la reconnaissance, etc.). Ici, la sociologie clinique est un bon outil pour dépasser ce clivage, elle (re)met en mouvement les éléments du système, qu’ils soient organisationnels ou émotionnels. Ce va et vient permet au sujet d’advenir comme acteur en dépassant l’opposition illusoire individus/organisation.
Dans une démarche clinique, nous partons du postulat que l’individu lui-même contribue à produire ou à alimenter les problèmes dont il veut se détacher. Il est alors essentiel d’analyser les mécanismes psychiques, autant que les mécanismes organisationnels, afin de comprendre l’entièreté des situations et proposer un accompagnement sur mesure, coconstruit avec l’ensemble des acteurs au plus près de leur vécu au sein de l’organisation.
Pour cela, la complexité et l’approche systémique sont utiles pour comprendre les différentes situations dans leur globalité et pour garantir un cadre et une scientificité à l’intervention.